Revenir a etre bon pour
moi, d'abord
J'éprouve une allergie pour cette personne.
Décidément, il semble qu'il y ait des
gens franchement mauvais...
Les moments ou je me suis le plus senti en colere ont été souvent des
instants de tension avec quelqu'un de tres proche de moi. Apres coup,
j'ai réalisé pourquoi : c'est suite a des moments ou je m'étais senti
traité injustement. Par exemple, j'avais donné le meilleur de moi, et c'était
comme si ce n'était pas encore suffisant. Je m'étais du coup senti blessé
dans quelque chose de sacré, c'est difficile a expliquer.
Si bien qu'au sortir de tels moments, je me suis mis a pratiquer d'etre
bon pour moi, tout de suite, de ce que l'autre n'avait pas été pret a
l'etre a mon égard. J'ai fait la une découverte capitale sur la façon
de prendre soin de moi dans les situations de tension avec quelqu'un.
La tentation de remettre le Monde en ordre
Mais, ça
m'a mené plus loin. J'ai fait un lien entre ça et mes observations sur
des gens plus extérieurs a ma vie intime : une collegue du bureau au
caractere intraitable, une vedette dont les journaux nous ont appris le
suicide, des jeunes de 11-12 ans qui commettent un crime en
apparence inexplicable et peu accordé a leur âge...
Je me suis rappelé le proverbe amérindien : avant de juger
quelqu'un, marche le temps d'une lune dans ses mocassins... Ma
recherche est loin d'etre terminée - celle de notre
société non plus ! - mais je crois avoir compris certaines
choses.
D'abord, j'en suis arrivé a croire que ces personnes se
sont elles aussi senties traitées injustement, pas seulement par une
autre personne, dans un événement, mais par la vie dans leur
trajectoire : famille brisée, vécu d'orphelinat, parent alcoolique ou milieu de pauvreté... Elles ont sans
aucun doute réagi de la façon la meilleure qu'elles connaissaient pour
se rendre justice : faire a d'autres ce que quelqu'un nous a fait, non
seulement ça nous procure un certain soulagement, du moins momentané,
mais on se sent fort possiblement comme un mandat de justicier. Que ma réaction en soit une de
vengeance; que je
fasse payer quelqu'un d'autre a la place de la personne qui m'a blessé,
la n'est pas l'affaire. Ce qui
compte, c'est de rétablir une sorte de balance des choses, de remettre le
Monde en ordre.
Retrouver l'enfant blessé
J'ai continué mon
exploration. A partir du moment ou j'ai mis de côté les jugements sur
des comportements hors-la-loi, et suis parti de la question quel besoin s'exprime dans ce geste ?... ,
je n'ai pas tardé a trouver d'autres raisons pour comprendre. J'ai pris conscience de l'enfant négligé. Souvent
entouré de l'abondance matérielle, l'essentiel lui a manqué :
se sentir aimé. Des thérapeutes mettent en évidence qu'une fois adulte,
toutes les occasions sont bonnes pour attirer l'attention -
une maniere de forcer l'amour qu'on ne nous a pas donné naturellement.
S'il faut poser des gestes provocants ou socialement refusés, agresser
meme, on le voit comme le prix a payer. On en vient a agresser pour
se défendre : la peur a fourni l'impulsion d'attaquer avant d'etre
attaqué.
J'ai aussi pris conscience du fait que ces personnes
souffrent, quelquefois a un point que je ne soupçonnais pas. Car elles
paraissent mener un combat intérieur de tous les instants. Le fait,
alors, d'en faire baver d'autres est, j'imagine, une façon plus ou moins
consciente de dire : j'ai besoin de faire mal pour que quelqu'un réalise
a quel point j'ai mal...
Dans
son livre cité au début, Neale Donald Walsch propose une question
désarçonnante devant quelqu'un tenté de nous agresser : Qu'est-ce
qui te fait si mal que tu croies devoir me blesser pour te guérir
? Si nous parvenons a exprimer a l'autre
Je comprends que tu te sentes ainsi , et a toucher le coeur, une manche vient d'etre
gagnée.
Est-ce que c'est efficace ?
Ce
genre de réflexions n'explique pas tout. Elles ne viennent pas excuser
les gestes, c'est sur. Mais peu a peu je constate que mon regard
évolue. Le fait d'avoir un moment marché dans les souliers de telles
personnes m'ouvre a croire qu'elles puissent encore avoir quelque chose
de bon, caché sous un masque épais de peurs, de tristesse et de douleur
émotive. Imaginer l'enfant que ces personnes ont
été : peut-etre avons-nous la une clef sure. Car cet enfant est
encore la aujourd'hui, qui cherche toujours a etre reconnu.
Qui sait si cette façon de regarder
une personne déviante peut lui
fournir une sorte d'énergie du coeur, et qu'elle recommence a croire en
sa valeur.
Il m'est arrivé de vérifier que oui, une fois. C'était un chauffeur
d'autobus, que peu d'usagers apprécient, car il s'affiche comme un type
fermé, du genre bourru. J'ai soupçonné chez lui une grande timidité et
je me suis intéressé a percer sa carapace. Je vois aujourd'hui son regard s'éclairer lorsque je monte dans le bus.
A son contact, j'éprouve maintenant une satisfaction difficile a
qualifier. Il me fait penser au plaisir que j'avais lorsque, enfant, je
réussissais a mettre en confiance un écureuil et qu'il venait cueillir une noisette jusque dans
ma
main
: j'étais plutôt fier !
Avec le temps je m'aperçois que cet effort pour regarder autrement les gens qui me
rebutent, finit par me profiter a moi. Dans les moments ou je me sentirais
personnellement agressé, je le prends moins personnel, comme on
dit, et du
coup je m'en trouve moins remué.