Vous
est-il arrivé de vous poser la question amenée dans le titre, quand tout ce que vous essayez
n'a pas l'air de fonctionner ?... Je pense qu'aucun humain n'y échappe.
Autour de pareille question se tenait a
Londres en 1994 le Séminaire
John Main, un rendez-vous annuel d'adeptes de la méditation qui, cette
année-la, proposait de trouver des ponts entre l'héritage chrétien et
l'héritage bouddhiste. On avait confié au Dalai-Lama certains textes de l'Évangile,
lui demandant de venir communiquer ses réactions. Plusieurs
participants étaient des moines bénédictins. Tous ont dit a quel
point ils avaient été séduits par la façon qu'avait le sage Tibétain de marcher dans leurs souliers
de chrétiens. Puis ils ont été étonnés par son éclairage neuf sur les
textes, qu'ils croyaient déja si bien connaître !
J'ai trouvé un vif intéret a
parcourir le livre qu'ils en ont tiré. **
Il m'a fait réaliser une fois encore la portée d'une petite phrase, que
j'avais lue ou entendue déja de la part d'écoles de pensée contemporaines
: la psychologie plafonne si elle ne prend pas en compte la dimension du
spirituel.
J'avais devant moi deux approches qui
présentaient chacune leur compréhension de la vie, chacune portée par des
gens qui cherchaient a comprendre celle de l'autre : quel cadeau ! deux
approches qui cherchent a aller jusqu'a la racine des choses, la ou le
sens se fait ou se défait, la ou la souffrance prend son sens ou
disparaît. Bref, en eau profonde, la ou on est moins le jouet des tempetes
a la surface de nos émotions.
A lire les propos des participants, je
me suis redit que décidément, ce qui peut illuminer notre existence ou au
contraire la rendre vide de sens, n'est pas ce qui nous arrive, mais la perception de
ce qui nous arrive. Et cette perception est une option, un choix.
La pensée chrétienne, par exemple,
propose qu'a la source de la vie nous avons un Pere (en meme temps une
Mere), qui nous aime personnellement, pour qui nous sommes un fils, une
fille. Nous en faisons partie, nous en sommes un prolongement. La personne qui
opte pour voir les choses ainsi dispose d'un puissant réconfort, surtout si
elle a souffert du manque d'amour humain ou s'il lui arrive de douter de sa
propre valeur. A
une autre échelle, peut-elle se dire, Quelqu'un m'aime et
n'arrete pas de me voir comme une merveille ambulante, peut importe ce que
j'ai fait déja, ou ce qu'on m'a fait. Si c'est vrai, je peux me risquer a
croire que je suis, que je serai toujours en sécurité, malgré les
apparences.
Cette vision me paraît etre au coeur de la pensée chrétienne, meme si
beaucoup de Chrétiens ont davantage hérité de la peur que de l'amour.
La pensée bouddhiste apporte quelque chose d'aussi
fondamental peut-etre, sur un autre plan. Pour elle, chaque
etre vivant est
pleinement responsable de ce qui lui arrive, puisque tout ce qui vit obéit a
la loi
action-réaction (semence-récolte). Les Bouddhistes l'appellent le karma.
Cette vision
me paraît fournir elle aussi un levier d'optimisme, meme si des Bouddhistes
n'en ont appris que l'aspect négatif. La personne qui adhere a
cette
vision peut se dire : comme la
graine plantée en terre, tout ce que j'envoie a la vie va me revenir, en
multiplié. Il n'en tient qu'a moi de choisir la compassion plutôt que
le mépris, de rechercher l'union avec les autres plutôt que de m'en
séparer. Je peux a tout instant orienter mon futur par les ingrédients que
j'entretiens dans ma pensée et dans mes actes.
De telles visions fournissent des
poignées de sens, d'absolu. Si mon expérience est douloureuse, je peux
espérer malgré tout... Et ce malgré tout peut faire toute la
différence entre tenir bon, ou me sentir écrasé et alors dériver vers la
maladie, me laisser tenter par une séparation ou un suicide. Elles me
convainquent que j'ai du pouvoir sur ce qui fait le bonheur.
En lisant ce livre, avec le regard si
accueillant du Dalai-Lama pour les autres traditions que la sienne, m'a fait
comme une bouffée d'air frais. On en ressort en se disant qu'il n'est pas
nécessaire de renier notre héritage pour reconnaître la valeur de celui des
autres, et que notre héritage n'est sans doute pas le fait du hasard. Nous
nous retrouvons comme l'arbre qui remonte jusqu'a ses racines sous la
terre, pour s'apercevoir qu'elles menent aux racines d'autres arbres
alentour, tandis qu'au-dessus du sol ces arbres lui paraissent distincts,
distants.
Si nous avions la tentation de prouver
a l'autre que nous avons la vérité, cette envie nous fait maintenant un
peu sourire. On a plutôt envie d'etre ensemble a chercher cette vérité
qui nous dépasse tous les deux. De trouver le visage de la vie qui va
apparaître quand on aura mis ensemble nos morceaux...