La culpabilité est un faux ami, mais
un excellent messager.
On ne se trompe pas
de la laisser a la porte, en attrapant au passage le cadeau qu'elle apporte.
Vous arrive-t-il par périodes de ressasser des je m'en veux de... ,
des j'aurais don' du... ? Claire, une jeune amie, m'a partagé un
combat féroce de ce genre, qu'elle a vécu récemment.
Elle fait partie d'un
groupe d'animateurs dans un projet touristique. Elle me confiait le
stress qu'elle a vécu a l'occasion de sa rencontre d'évaluation. On lui a reproché d'enfreindre les horaires, de s'octroyer
des passe-droit... Pas facile de préserver le sentiment d'exister quand on vit
dans une organisation ou tout est planifié, que le public vous envahit...
Les petites échappatoires deviennent une question de survie !
Mais je suis meilleure que ça !
Courageusement, elle a a poussé plus loin le dialogue
avec son superviseur. Elle est meme allée jusqu'a contacter deux collegues avec qui elle s'était retrouvée
en friction. Elle avait envie de nettoyer ça. Elle a surtout été
remuée de se faire dire qu'on lui reprochait moins ses écarts aux consignes que les justifications qu'elle
ajoutait toujours : tu as toujours une bonne raison...
Claire est de ces personnes pleines
d'idéal, exigeante pour elle-meme. Quand ça ne fonctionne pas, elle tombe
de haut, ça fait plus mal. La culpabilité est montée. Les
jours suivants, a peine avait-elle une minute de libre ou un moment
d'insomnie que le combat intérieur reprenait : elle se comparait a ses
collegues, revenait sur les lieux du crime... Partie d'une simple
friction avec d'autres, elle en arrivait a se reprocher l'ensemble de sa façon d'aborder la vie...
Ouf ! ça épuise.
Sa fatigue nerveuse l'a rendue plus réceptive.
C'est alors qu'elle s'est rendue compte que son groupe, en la confrontant, lui avait
rendu service. Le message était clair : au lieu de te sentir
coupable, reconnais simplement... Elle a aussi compris que ses
justifications adressées aux autres étaient une façon de se parler a
elle-meme, de se réconcilier avec son idéal : vite me prouver que je suis meilleure que ça !...
Reconnaître simplement, quelle conquete !...
Quoi en faire ?...
Claire m'a confié son combat, mais aussi
sa fierté de sentir confusément qu'elle était en train de grandir dans tout
ça.
-
Faut-il
que je rabaisse mon idéal ?...
-
Jamais ! c'est ce qui
te fait vivre, et progresser.
Je l'ai invitée,
plutôt, lorsqu'elle constate qu'elle entre en justifications, a observer
avec tendresse de quoi est fait le combat. Puis, de rassurer son enfant intérieur
sur le fait qu'il a droit a l'erreur, le droit de ne pas savoir. Peut-etre le bercer un peu...
Ce n'est pas tout. Dans son marécage
émotif, Claire a mobilisé toute une énergie, avec laquelle elle s'est fait mal.
Cette énergie a besoin
d'une porte de sortie. Elle peut se défouler physiquement : taper du
pied dans le sol, courir a perdre haleine... Le
soulagement sera réel, mais momentané. Pour qu'il soit durable, ce transfert
d'énergie a besoin de se faire de la meme façon au plan mental. L'énergie
déployée a se faire des reproches doit etre déplacée sur autre chose.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme disait le
scientifique Lavoisier, je crois. Déplacer sur quoi donc ?...
Essayons donc de mieux comprendre ce qui se passe
avec la culpabilité : peut-etre qu'une partie de la réponse est de ce
côté. Nos j'aurais du... contiennent-ils seulement du
reproche, un aveu d'échec ? Et s'il y avait au fond de ça un cadeau caché ?...
Si on y regarde de pres, le sentiment de
culpabilité contient plusieurs choses. C'est un haut-parleur : notre
etre nous alerte sur un événement manqué, il sait d'instinct qu'il nous
faut trouver comment vivre ça autrement. C'est
aussi un
gallon a mesurer (un metre) : plus notre
émotion est forte, plus nous sommes en combat pour rejoindre notre idéal. Et c'est une énergie,
quelquefois un véritable volcan intérieur.
Mon expérience est qu'au lieu de nous
flageller avec ce metre, nous pouvons le considérer comme un maître :
profiter de ce qu'il cherche a nous apprendre. Cette énergie, si elle a réussi a paralyser
notre ardeur, doit bien etre capable de la propulser vers l'avant, en
changeant sa direction. Mais ça prend un premier sursaut stop ! , la
décision de refuser d'affecter cette énergie a un corps mort : le passé.
Nous avons agi de notre mieux dans le contexte, nous ne pouvons plus le
changer, et cette énergie qui se mobilise apres avoir été jeté a terre
ne sera pas de trop pour nous relever.
Oui, tout tient a
notre décision de faire du neuf, dans l'instant. Dans quelle
direction mon organisme me dit-il d'aller : etre plus a l'écoute ? faire passer les personnes avant les projets ? mieux
respecter un horaire ?... peu importe. Donc, le conscientiser. Ensuite,
nous engager. Ça se passe face a nous-meme : Promis, je vais par la
des la prochaine occasion...
Que s'est-il alors passé ? Nous avons
transformé le reproche en intention, Nous avons
refusé de considérer la gifle reçue comme une évaluation de qui nous
sommes. Plutôt, nous l'avons prise comme un réveil-matin : hé, debout, c'est
l'heure !... . Alors nous sommes repassé du côté de la vie.
Ça ne se fait pas du premier coup, car
nous avons par moments l'impression qu'il n'est pas possible d'etre un
cherche-lumiere tant qu'il nous reste encore de la vase collée a la peau,
que nous retombons dans les memes ornieres émotives. Oui c'est possible !
C'est humain de marcher dans des champs de boue. Mais c'est humain aussi de se
reprendre, et de marcher dans nos champs debout.
Au fond, se pardonner
Claire a vécu semblable sursaut. A la fin, elle a
saisi qu'elle venait d'apprendre quelque chose de capital. Vous auriez du
voir son visage quand elle me le racontait : elle se surprenait a éprouver en
meme temps de la douleur et de la joie. C'était beau a voir. Au fond
d'elle, elle venait de faire un peu plus de vérité, de se
re-connaître -- a la fois vulnérable et capable d'autre
chose. C'est un peu ça, le pardon.
Pour l'heure, elle a bien besoin de dormir,
de se dorloter aussi pendant quelques jours, quelques semaines. Le temps va faire le reste, patiemment. Et
pour moi, j'ai mieux saisi la sagesse cachée dans cette formule inlassable
de mon vieux guide de yoga : Accepter, s'adapter, laisser aller.