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IM-0025 |
...Une partie de nous est invincible au mal...
Une poignée de plus pour s'en sortir |
Alors nous changerons notre regard sur le malheur
et, malgré la souffrance, nous chercherons la merveille
Boris Cyrulnik
Un témoignage rare
Je sors a peine d'un livre qui m'a tenu en haleine, le deuxieme écrit par Tran Lam :
Entre l'ombre et
la lumiere.
Survivante de la guerre
civile au Cambodge, elle se retrouve réfugiée au Québec a l'âge de 15 ans,
exploitée et violentée par une tutrice qui fait tout pour tuer sa confiance en
elle-meme. Peu a peu, on la voit qui rassemble ses forces, conquiert son
autonomie piece par piece, et finit par reprendre confiance − au point que
douze ans plus tard elle pouvait me communiquer cette réflexion qui m'a remué tres
loin, m'a fait l'effet d'une fete intérieure :
Je crois que tous les etres humains
sont blessés, meme s'ils n'ont pas vécu la guerre ou d'autres atrocités, ce
qui n'est pas nécessaire pour que le coeur se plonge dans la souffrance.
Ainsi fait l'etre, l'etre fragile certes, mais habité par une Force. Je
crois que malgré toutes les atrocités que les ''méchants'' peuvent faire
subir a leurs semblables, ils ne pourront JAMAIS atteindre le lieu sur de
notre etre profond. Et je crois que c'est a cause de cela que meme face a la
mort, on est toujours plus fort et on réussit a surmonter toujours. Une
partie de nous est invincible au mal et le mal n'aura JAMAIS le dernier mot.
Cette réflexion m'a fait
revenir en arriere dans
certaines pages de
L'ALLUMEUR DE RÉVERBERES,
ou j'ai cherché a partager ce que j'appelle mes croyances-pivots : des poignées
décisives dans mon expérience ou celle d'autres personnes, auxquelles nous
pouvons nous agripper pour reprendre pied quand des blessures émotives nous ont
jeté par terre, ou encore quand nous avons le sentiment de vivre a moitié. Il y a
eu par exemple cette conviction que la Source de la vie, capable de créer
des galaxies, me connaît par mon
nom et ne me laissera jamais tomber. Et puis, jumelée a cette conviction, il
y a eu celle que je suis par nature digne
d'etre aimé, peu importe ce qui m'arrivera ou ce que j'en ferai, pour la seule raison que je fais partie de la vie (Feuillet
4). Voila que Tran Lam nomme une troisieme conviction, tout
aussi décisive a mes yeux, qui s'est
mise a faire évidence au fil de ses luttes pour survivre émotivement jour apres jour: la croyance que nous
serons toujours plus fort que ce qui nous arrive.
Une
croyance, ça vit dans notre tete, c'est peu palpable. Ça devient pourtant une
lampe de poche qui nous éclaire dans la nuit, quand il fait peur, quand il fait seul,
quand un mystérieux sursaut d'énergie nous fait nous dépasser plutôt que de
nous écraser. Ainsi, un naufragé accroché a son épave sans boire depuis deux jours
et
qui sait que que tout l'équipage a péri, n'a pas les memes possibilités de
survie s'il croit que la terre n'est pas loin ou qu'un bateau va finir par
passer. Un grimpeur de l'Everest, qui avance dans le brouillard avec les
pieds et les mains a moitié gelés, n'a pas la meme probabilité de
survie s'il croit qu'il finira par trouver le campement.
Des cas rares ?
Ceux-ci présentent un enjeu vital, c'est vrai. Mais pour ce qui est de la
dynamique qu'ils mettent en jeu, vous et moi vivons quelque chose de ça a tous les jours : devant une
contrariété, votre
capacité a rebondir est-elle la meme si vous interprétez que tout le monde vous en veut,
ou si vous prenez ce qui vous arrive comme un défi a
déjouer, une occasion d'apprendre quelque chose sur vous-meme...
bref comme une expérience ?
A quelque part, une décision
Tran nous fait un autre cadeau par sa réflexion : elle nous dit que nous
n'avons pas a nous comparer a quelque héros que ce soit pour évaluer
l'importance de nos blessures du coeur,
que personne n'a d'expérience qui soit plus noble ou plus modeste qu'un
autre : chacun a ses chemins uniques. Toute expérience de la
douleur, qu'elle soit le déces d'un etre cher ou une petite écharde plantée dans la main, réinvente le
défi de nous faire trouver le mode d'emploi de la vie : comment peut-elle
bien fonctionner ? qu'est-ce que je pourrais bien y faire ?...
Au
fil de son expérience, Tran s'est aperçue qu'en refusant les
limites, elle pouvait aller plus loin au fond d'elle-meme, qu'elle trouvait
au coeur de l'indignation des ressorts étonnants, des réponses
inattendues, curieusement sur mesure avec l'événement qui s'amenait. Et une
chose m'a captivé a lire son histoire : c'est qu'avant d'etre
convaincue qu'il y avait au fond d'elle une île abritée des tempetes,
pendant longtemps elle a eu l'intuition de sa présence, et elle s'est mise
a sa recherche.
Elle
nous fait par la prendre conscience d'un mécanisme qui doit bien etre a
la portée de tout le monde. C'est que la décision de croire a une certaine
vision des choses, juste parce qu'elle nous fait du bien, juste parce qu'a l'idée que
la vraie vie soit faite comme ça on se prend a vouloir embarquer sans
demander de preuves, cette décision nous fait basculer dans une autre attitude, dans une autre
énergie. Nous cessons de nous
sentir en survie, nous passons du côté de la vie parce que nous redonnons
une fois encore sa chance au bonheur. A peine avons-nous un répit sur ce qui
nous a fait mal que nous recommençons a créer du nouveau. Boris Cyrulnik
appelle ça la résilience
**.
Cette nouvelle attitude suffit-elle a nous faire croire a l'existence de
forces cosmiques bienveillances qui veillent sur nous, a nous faire nous
considérer comme un enfant bien-aimé de la vie ? Hum... Il faudrait écouter
les gens qui en sont arrivés la pour le savoir. Ce que je sais par mon
expérience, c'est que cette disposition d'esprit libere notre attention pour
croire qu'il puisse y avoir autre chose capable de faire plus de sens, une autre
logique des choses que celle ou j'étais embourbé et qui ne donnait rien. Et
c'est la que nous nous mettons en recherche, comme le naufragé sur le
rivage, qui détache son attention de sa jambe blessée et redevient capable
de scruter au loin, curieusement juste au moment ou un bateau est en vue.
Par moments, on
dirait que les signes de ces possibles sont a chercher au fond de nous
autant qu'a l'extérieur. Pour moi, par exemple, je me surprends toujours de
constater que je peux vivre de fortes douleurs et pourtant
ne pas cesser de m'émerveiller d'une neige fraîche tombée, du regard d'un
enfant qui découvre ou de la tendresse que se témoigne un couple d'aînés dans le silence.
D'ou nous vient, au beau milieu d'un deuil, de nous sentir bien a remercier intérieurement pour le privilege d'etre en vie,
simplement ?
Par quel chemin forger nos croyances clés ?...
Comment certains arrivent-ils a se convaincre de la bienveillance de la vie
malgré leurs déchirures, et d'autres pas, ou alors bien tard dans leur vie ? Le
parcours de chacun est un bien grand mystere. A travers le récit de son
expérience, Tran nous met sur quelques pistes qui pour elle ont tout changé.
J'ai
d'abord été séduit par sa franchise avec elle-meme : Tran n'a jamais triché
sur les sentiments qu'elle découvrait en elle, acceptables ou laids. C'est peut-etre ce qui lui a fait
admettre qu'elle pouvait etre habitée en meme temps par le plus lumineux et
par le plus sordide. Ce constat si honnete l'a préparée a une rencontre
poignante avec sa tutrice, Yana, qu'elle avait perdue de vue depuis
longtemps, mais dont toute la méchanceté la tenaillait encore et l'empechait
de se reconstruire. Apprenant que celle-ci allait mourir, Tran a fait une longue route pour venir
la rencontrer
: elle voulait coute que coute comprendre
pourquoi Yana avait tant pris plaisir a la faire souffrir et a la rabaisser. Yana
finit par avouer qu'elle était jalouse de
la mere de Tran, a laquelle elle se comparait; aussi qu'elle était jalouse de l'intelligence de Tran,
quand elle la comparait a sa propre fille. Je relis avec émotion dans
ma tete ce qui
s'est passé alors : Tran a d'abord été cinglante avec Yana, tous les reproches
y sont passés. Mais a la fin, entendant cet aveu ou Yana se laissait
connaître dans ses blessures, plus loin que sa méchanceté, Tran est
arrivée a lui pardonner.
Tran
nous partage d'autres clés qui ont fonctionné pour elle. Par exemple, elle a eu
l'instinct de s'inventer des personnages intérieurs qui l'ont aidée a tenir
bon quand c'était trop dur. Une étape décisive pour elle a été de rencontrer
sur sa route des personnes
qui ont cru en elle et lui on montré ce que l'amour reçu est capable de
provoquer en
soi, alors qu'on se sent habité par tellement de haine. Autre chose m'a frappé chez elle : dans beaucoup de situations qu'elle a racontées, on
la voit décider d'etre plus forte que sa peur, avec une audace plus radicale
d'une fois a l'autre, comme si elle avait découvert la un outil, mais que
c'était a elle de l'aiguiser. Au total, Tran a lentement découvert qu'il lui appartenait de
prendre sa vie en mains, au point qu'elle écrira une lettre bouleversante a
sa mere décédée, pour lui faire son
adieu de petite fille, car
elle se sent maintenant une femme.
J'aimerais
aussi revenir sur cette question d'instinct personnel. Tran nous fait réaliser a quel point la vie
semble mettre sur notre chemin toutes sortes de situations inattendues, avec
lesquelles nous pouvons tantôt nous guérir et tantôt trouver un autre
chemin. Mais pour les capter il faut s'arreter intérieurement
et s'écouter. C'est ainsi qu'elle a
été marquée par la visite d'une église ou, face a face avec la grande croix
ou Jésus était cloué, elle raconte son sentiment intérieur : une sorte de
magnétisme qui ne l'a pas laissée tranquille... Elle a suivi ce sentiment,
posant des questions sans relâche a propos de ce personnage dont elle ne
connaissait rien puisqu'elle était bouddhiste, mais qui l'intriguait sans qu'elle sache pourquoi. En
relisant son parcours, elle montre comment ses efforts pour le connaître
l'ont par moments puissamment aidée a ne pas lâcher. Et on n'a pas de mal a
y voir un lien avec le fait que, longtemps plus tard, elle demandera
a etre baptisée.
Des hasards ou des clins d'oeil ?...
D'ou
proviennent de telles intuitions ou certaines coincidences qui, apres coup,
s'averent déterminantes dans notre reprise de vie ?... Chose certaine,
elles semblent faire partie de nous, et elles fonctionnent puissamment pour
nous guider vers nos réponses personnelles. Des enseignements autochtones
affirment que si une plante nous a intoxiqué, il en pousse une autre
a portée de vue qui est son antidote. La vie serait-elle faite sur ce modele
?... Pour reprendre un de nos exemples du début, qui sait si la
détermination du grimpeur de montagnes a
trouver le refuge coute que coute peut lui avoir donné
l'intuition de contourner un nouvel obstacle par la gauche plutôt que par la
droite, et c'est alors qu'il a retrouvé la piste ?...
De
telles intuitions qui montent en nous proviennent-elles de notre organisme,
ou de plus loin a travers lui ?... Quand on relit le parcours de Tran Lam, on
se dit que l'important n'est pas tant de pouvoir les expliquer que d'apprendre a
les entendre et a s'en servir. Car l'expérience de Tran le montre avec transparence
: il arrive que ça puisse changer le cours d'une vie.
Christophe Élie
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DE RÉVERBERES
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