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IM-0027 |
Pourquoi aimer est-il si
difficile ?
Un rendez-vous avec l'abondance
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Qui a un bon coeur
ne reste pas pauvre longtemps
Proverbe cambodgien
Une question de fond
Précédemment, j'ai entrepris une
réflexion sur ce paradoxe : comment se fait-il qu'a peu pres tous les
humains croient a l'amour comme la valeur la plus élevée a atteindre,
mais que nous ayons tant de mal a en faire notre quotidien ? Je pense ici a
l'amour sous son angle de partage, de coopération ou de principe de solution
des problemes, davantage que sous son
aspect romantique.
Quelques hypotheses, déja
J'ai tenté jusqu'ici
quelques jalons de réponse dans L'ALLUMEUR
DE RÉVERBERES, puisant dans mon expérience
de vie et mes observations.
- Au Feuillet
4 (Permettre a la Vie de m'aimer), j'ai suggéré une clef qui
m'apparaît capitale : prendre davantage conscience de notre racine maîtresse,
nous rappeler que nous sommes par nature digne d'amour et aimé par la Vie sans
condition - meme si notre entourage humain a été déficient a
nous le refléter.
- Au Feuillet 14 (Ces
gens que personnes ne peut sentir), j'ai tenté de mettre en évidence qu'au
fil de nos dérapages, nous avons fini par croire a un mensonge : qu'une
personne pouvait perdre a tout jamais ce caractere magnifique, cette
innocence, alors qu'il n'est jamais trop tard pour nous
remettre en chemin ou pour donner sa chance a quelqu'un d'autre.
- Au Feuillet
10 (Si j'étais convaincu que l'amour...), j'ai attiré l'attention
sur un piege : le fait de considérer l'amour comme une exigence morale (il
faut - il ne faut pas), perdant de vue qu'il est avant tout un principe d'efficacité. C'est
ce qui nous fait arracher aux autres le bonheur a
coups de compétition et de recherche du pouvoir.
La question me passionne
toujours tout autant, et j'aimerais ici faire un pas de plus. Vous
partager une conviction, tirée elle aussi de mon expérience de vie : nous
avons du mal a aimer parce que nous considérons l'amour comme un frein a l'abondance de la
vie, plutôt qu'une clef maîtresse. Du coup, nous craignons
qu'aimer nous mette en manque, qu'il diminue notre acces au bonheur :
Aimer est idéal, mais... , trop idéal pour faire partie des
réalités sérieuses. Faisons une hypothese : le fait de nous remettre
en chemin de croire a l'abondance de la vie et a notre droit d'y accéder,
pourrait bien nous faire découvrir que l'amour est en fait un raccourci...
Observons un enfant
Il vous est arrivé, surement, de
regarder un enfant qui avait des bonbons; un copain arrive, lui en demande un :
vite ! une réaction de recul, apres quoi il se laisse attendrir, puis partage.
Imaginez maintenant que cet
enfant, a chaque fois qu'il a consenti a partager ses bonbons, voit son parent lui en
donner le double, ou lui faire cadeau d'autre chose qui a encore plus de valeur a ses
yeux. On peut anticiper que son
réflexe change, que sa main se tende plus vite pour en donner, dans la suite.
Que s'est-il passé ? un déclic dans sa perception de la situation : donner
devient associé a une satisfaction - ici le plaisir de faire
plaisir, tout en voyant augmenter son stock personnel de bonbons.
Cet enfant ambivalent nous
ressemble beaucoup, je trouve, devant les situations de la vie. Nous aussi
sommes tiraillé entre deux choses que nous percevons inconciliables. D'un côté, un mouvement de survie, donc tout
naturel : protéger la satisfaction de nos besoins - par exemple en
stockant des biens matériels.
De l'autre côté, le désir de faire plaisir, en plus de satisfaire une
exigence morale de générosité héritée de notre éducation -
mais au prix d'entrer en manque, d'ou une réaction spontanée de crispation.
Ceux qui nous ont accompagné
depuis notre tout jeune âge y sont pour quelque chose, dans ce combat intérieur. Mes
parents, par exemple, ont eux-memes été façonnés dans une vision judéo-chrétienne, qui avait ses forces et aussi ses déformations.
Ils ont
appris que l'amour est bien et que l'égoisme
est mal , puis me l'ont transmis a leur tour. J'ai retenu d'eux qu' il faut aimer,
plus que la conviction qu' on se sent si bien a aimer. La crainte
secrete d'y laisser ma peau m'a fait, pendant des années, lutter pour
réconcilier en moi deux aspirations que je voyais contradictoires : ou bien penser a moi,
ou bien penser aux
autres.
Pour libérer notre capacité d'aimer
Avec le recul, j'ai pris
conscience que si je ne voulais pas répéter le meme paradigme avec mes
enfants, j'allais gagner a les éveiller tôt a certaines réalités, ces
deux-ci entre autres : l'importance de s'aimer soi-meme et l'existence de la loi semence-récolte.
L'amour de
soi-meme. J'ai souhaité
que mes enfants apprennent plus tôt que moi qu'ils n'ont pas a choisir entre
s'aimer soi-meme et aimer les autres, qu'ils font partie de ces autres a
aimer. Tu aimeras ton prochain comme toi-meme , cette invitation
centrale de l'Évangile, n'est pas a prendre comme une morale, mais comme un
fait, comme un principe de bonheur : nous n'arriverons jamais a aimer les
autres plus que nous nous aimons nous-meme. Et les deux se vivent en meme
temps, comme un aller-retour nécessaire.
Si j'invite mes enfants a
partager les bonbons de leur vie avec d'autres, je voudrais qu'ils
mettent en meme temps leur attention a se permettre pleinement la saveur de la vie.
J'ai envie de leur marteler qu'ils sont les enfants d'une
Vie généreuse, qu'ils ont droit au bonheur et qu'ils sont responsables de lui
ouvrir la porte. Qu'ils découvrent, comme je l'ai fait sur le tard, que personne ne pourra les aimer plus qu'ils s'aiment
eux-memes. J'ai envie qu'ils captent que tout ça est de l'amour de soi, pas de l'égoisme.
Car l'égoiste ne s'aime pas, il se protege frileusement d'avoir froid.
Dans une perspective pareille, leur mouvement d'ouverture vers les autres n'est pas
une lutte contre soi-meme, mais une sorte de trop-plein naturel. Quand on a
fait l'option
de prendre plaisir a la vie, c'est plus fort que soi, on a envie de dire a
d'autres Hé, embarque ! C'est la riviere qui coule joyeusement entre la
source qui la remplit et le fleuve ou elle se déverse. Etre heureux tout seul
ne se peut tout simplement pas.
La loi semence -
récolte. J'ai réalisé
ensuite l'importance que mes enfants découvrent tôt la beauté et la force
de la loi semence-récolte. (Les scientifiques ou les adeptes du bouddhisme
l'appellent action - réaction : si je seme une carotte, c'est ce que je
vais récolter.) J'ai aussi attiré leur attention
sur le cycle d'une plante : au départ une graine, elle devient une fleur, qui
donne un fruit, et celui-ci une multiplication de la meme graine initiale. J'ai eu l'intuition qu'ils y trouveraient de quoi réaliser un
fait fondamental : tout ce
qui vit est tricoté avec les memes matériaux, a les memes lois de
fonctionnement. C'est de la que j'en suis arrivé a la conviction que tout ce que j'envoie a la vie, de la meme
façon qu'une semence mise en terre, me revient multiplié. Et alors, le
désir d'une pensée positive ou le choix de partager sans compter se mettent a
faire du sens.
J'avais la une sorte de trousse
d'outils pour oser croire, meme quand la vie prend son temps pour m'en donner la
preuve, que partager ne va pas m'appauvrir, mais m'enrichir. Que
l'apparence momentanée du manque va donner autre chose, souvent inattendu,
qui me comblera autrement : un coup de main que je n'attendais pas, un concours
de circonstances qui s'arrange... J'ai souhaité que mes enfants décodent, eux aussi, que
le fait de se placer en réseau amoureux avec d'autres est probablement notre plus belle
police d'assurance dans notre effort pour pour nous garantir l'abondance de la
vie. Tandis que le stockage
frileux de nos avoirs a toutes les chances de refroidir l'entourage envers nous,
nous garantissant que nous finirons par etre en manque.
En conclusion
L'expérience d'aimer a beau etre
enracinée a notre nature profonde, elle semble un rendez-vous jamais achevé.
L'humanité a connu la loi de la jungle; elle y a répondu
par l'instinct de survie. Lentement - accéléré par la
mondialisation - elle passe a la découverte de l'interdépendance;
elle apprend a y répondre par la coopération. Chacun de nous a probablement a
vivre pour lui-meme ce parcours.
C'est alors, paradoxalement, que
nous redécouvrons la valeur d'un enseignement des Anciens, celui de faire la
courte échelle a la génération qui nous suit, nous passionnant a la
voir grimper plus haut que nous, a lui laisser une carte des raccourcis de
bonheur que nous avons trouvés. Cette courte échelle, jamais achevée non plus,
apparaît intimement liée a ce qui fait la saveur et le sens de notre aventure personnelle.
Christophe Élie
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